[Interview : My urban sweetnesses janv.2017 / English version to come]
Je suis ton actu d’artiste « nouvelle génération » depuis plusieurs années maintenant, comment te définis-tu à présent ?
J’aimerais pouvoir me contenter de dire que je suis artiste, mais malheureusement dans certains contextes, ça ne suffit pas puisque les compositeurs, les acteurs, les chanteurs ou les chorégraphes le sont tout autant. Je pourrais dire que je suis plasticien, étymologiquement c’est juste, mais le mot est vraiment moche. A choisir, donc, je préfère dire que je suis sculpteur et pour éviter l’image du marteau et du burin, je biaise en disant que ce qui m’intéresse, c’est la sculpture, ou que je travaille dans le champ de la sculpture. Aujourd’hui, ces distinctions par medium ne fonctionnent plus vraiment, surtout pour des artistes qui multiplient les manières de faire. Je me rêve certainement plus sculpteur que je ne le suis vraiment et dans le fond, je viens de l’art conceptuel. Sans un certain pan de l’histoire de l’art du 20ème siècle qui aboutira à ce que les historiens qualifient « d’art conceptuel », je n’aurais tout simplement pas pu devenir artiste ; la légitimité m’aurait manqué.

J’ai vu tout récemment sur les réseaux sociaux ta collab artistique avec la marque Carhartt WIP avec des boards et T-shirts pour leur nouvelle collection.
Tu peux nous en parler ?
Tu peux nous en parler ?
Il s’agit au départ d’une collaboration entre Carhartt WIP et Isle Skateboards, une marque londonienne de skate. C’est un skateur du team Isle, Sylvain Tognelli, qui a eu l’idée de m’y associer en me proposant de concevoir un type de sculpture skatable. Carhartt avait déjà soutenu certains de mes projets, mes deux derniers livres sur le skate et un projet au Maxxi, le Musée d’art contemporain de Rome où j’avais fait fabriquer la réplique d’une oeuvre iconique de l’art minimal ; une sculpture de Tony Smith intitulée Free Ride. La sculpture était disposée devant le musée et destinée à la pratique du skate. C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance de Sylvain Tognelli.

Quand Isle et Carhartt m’ont contacté, ils m’ont précisé que je ne devais pas chercher à m’écarter de mes chantiers en cours. Aussi, lors de la première visite d’atelier, je leur ai montré des photographies d‘objets mathématiques de la fin du 19ème siècle. Parmi ces objets, nous en avons repéré un qui, agrandi à l’échelle d’un banc, pouvait très bien devenir un spot de skate.

Tout le processus a été extrêmement enrichissant pour moi et à vrai dire, sans cette invitation, j’aurai certainement eu du mal à trouver quoi faire de ces objets mathématiques. J’ai fait réaliser 8 modules identiques en chêne massif par des ébénistes extrêmement qualifiés, l’Atelier Seewhy. Ces formes géométriques en forme de U ont la propriété de s’agencer les unes aux autres comme une espèce de puzzle infini. C’est à partir de ces modules que nous avons conçu toute une série de structures modulaires qui sont aussi bien des sculptures dans la lignée de l’abstraction géométrique que des spots de skate.

Nous avons d’abord travaillé au Palais de Tokyo à Paris, puis à l’Institut d’Art Contemporain de Singapour et enfin au Musée Sainte-Croix à Poitiers. A chaque fois, des skateurs des teams Isle et Carhartt étaient présents ainsi qu’un photographe (Maxime Verret) et un vidéaste (Daniel Magee) qui ont documenté le projet d’un bout à l’autre. Les T-shirts et les planches ont été conçus par Isle Skateboards à partir de documents que je leur ai fournis, des gravures surtout, particulièrement importantes dans l’élaboration de mon travail.

Depuis ton enfance, ton image est associée au skateboarding, comment est née ta dernière expo ?
Oui, j’ai commencé le skate quand j’avais 8 ans et c’est très vite devenu une passion, une obsession même, qui ne m’a jamais quitté.
Il y a eu pas mal d’expositions en 2016, mais la plus complète c’est celle qui vient d’avoir lieu aux Abattoirs à Toulouse. C’est une exposition conçue en duo avec un ami artiste Aurélien Froment, une espèce de double rétrospective qui se déployait sur 11 salles du musée. L’exposition dans son ensemble était pensée comme un dialogue où des pièces d’Aurélien répondaient aux miennes et réciproquement.

Je crois que c’était véritablement la première exposition qui permettait de voir tous les aspects de mon travail qui ne se réduit pas seulement à cette passion pour le skateboard dont nous parlons ici.
Enfin de façon générale, qu’est-ce qui pour toi constitue ou représente dans ta vie de tous les jours ta propre « rampe » ?
Pour que la métaphore soit exacte, il faudrait dire « spot » plutôt que « rampe », le skate est né dans la rue et d’un point de vue méthodologique c’est de cette pratique, que l’on appelle le « street », que l’on pourrait rapprocher mon travail. Dans la rue, les « obstacles », les « spots », préexistent, les skateurs ne les fabriquent pas, ils les découvrent. Ils doivent détourner des objets et des espaces de leur fonction première, s’y confronter et s’y adapter.
C’est comme ça que je fonctionne également. Ce sont donc des objets, des images et des espaces préexistants qui m’occupent, mais tout comme les skateurs, ma perception de l’espace est conditionnée par ce que je vais pouvoir en faire. Ce n’est pas simple à expliquer, mais disons que j’entre dans un musée d’histoire des sciences où des centaines d’objets retiennent mon attention, ce ne veut pas dire que je saurai en tirer des centaines d’oeuvres ou de projets… (malheureusement pour moi, sans quoi je n’aurais pas à m’inquiéter à chaque nouvelle exposition !).
Non, sur cette centaine d’objets, je m’estimerai chanceux si je découvre un objet qui dépasse de très loin mon simple intérêt, un objet que j’ai l’impression de déjà connaître, qui fait particulièrement écho à certaines idées ou certaines intuitions que j’avais en tête. Ce type de rencontre avec mon propre travail, peut arriver quasiment partout. Il me faut être attentif et mobile à la fois.

Quand et où te mènera ta prochaine expo ?
J’inaugurerai le 3 Février 2017 une exposition personnelle à l’Espace d’art Contemporain de Castellon en Espagne qui présentera une large sélection de mon archive photographique Riding Modern Art mais surtout la suite du projet avec Isle et Carhartt. Une Installation constituée de 32 modules réalisés en acier Corten cette fois-ci. Les modules seront accessibles aux skateurs à l’intérieur du centre d’art pendant toute la durée de l’exposition.
L’exposition sera ensuite présentée au BPS 22 à Charleroi, Belgique, à partir de septembre 2017.
Vous êtes passionné(e) de skateboarding ? N’hésitez pas à aller faire un tour sur le site Hobby Help pour y découvrir le guide spécial Skateboarding !
Raphael Zarka est Diplômé de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
Il est le lauréat 2008 du 10ème Prix Fondation d’entreprise Ricard, décerné lors de l’exposition La consistance du visible, conçue par Nicolas Bourriaud.
Il a été nominé pour le Prix Marcel Duchamp en 2013 (FIAC, Grand Palais, Paris).
Un super article ! Merci pour cette belle découverte 🙂
Avec plaisir, bonne année à ton blog !